Baud, Anne (dir.): Espace ecclésial et liturgie au Moyen Âge - 382 p. ; 179 illustrations. N/B et couleur; 30 cm. (Travaux de la Maison de l’Orient ; 53), ISBN 978-2-35668-011-2, 42 euros
(Maison de l’Orient et de la Méditerranée – Jean Pouilloux, Lyon 2010)
 
Compte rendu par Matthieu Rajohnson, Université de Paris Ouest
 
Nombre de mots : 3400 mots
Publié en ligne le 2010-11-22
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=1129
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            C’est une réflexion d’ensemble sur l’« espace ecclésial », ses caractéristiques et ses fonctions qui anime les actes de ce colloque tenu à Nantua en 2006 à l’initiative des membres de l’Action Collective de Recherche « Morphogenèse de l’espace ecclésial au Moyen Âge », portée par l’UMR 5138 « Archéométrie et archéologie ».

 

            Si la liturgie – entendue dans son sens le plus large, incluant tant le déroulement des messes que les pèlerinages voire les usages funéraires – intéresse également les collaborations présentées, elle ne vient bien ici qu’en second, moins en tant qu’objet de recherche en soi que comme composante d’un espace ecclésial qu’elle permet de s’approprier. Elle n’entre ici en jeu que comme élément de définition d’une notion qui la déborde largement, celle de l’ecclesia comprise non pas comme lieu, mais comme espace, une construction mentale aux limites moins strictes, remodelées géographiquement et historiquement par les pratiques que les hommes y mettent en œuvre.

 

            Pour donner corps à cette notion d’espace ecclésial, plusieurs axes de recherches ont été définis, qui correspondent à autant de parties organisant cet ouvrage : est évoqué ainsi en premier lieu le rapport entre architecture et liturgie (I), puis l’organisation de cet espace particulier qu’est l’ecclesia (II), la place et le sens qu’y prennent le décor et l’œuvre figurative (III), et enfin son rôle en tant qu’espace funéraire (IV) ou de pèlerinage (V).

 

            Au sein de ces parties thématiques, les questionnements généraux, présentés dans des introductions qui récapitulent les acquis de la recherche sur le thème qu’elles abordent, trouvent des réponses variées, issues de chercheurs de différentes spécialités (archéologues, historiens et historiens de l’art), dans des analyses de cas très concrètes et dont la géographie est avant tout concentrée entre Bourgogne, Alpes et Auvergne, malgré quelques excursions dans les marches suisses, au Mont Saint-Michel, à Venise ou enfin en péninsule ibérique. Cette cohérence géographique régionale autorise de fructueux rapprochements entre les interventions, souvent par trop éclatées dans le temps et l’espace dans de nombreux autres colloques de recherche, tandis que l’approche pluridisciplinaire permet de dégager, au sein de cet espace commun, plusieurs analyses qui s’entrecroisent et s’enrichissent mutuellement.

 

 

            Après une remise en perspective historiographique et problématique d’A. Baud, une première partie intitulée « Architecture et liturgie, de l’espace au lieu » tente de mettre en regard l’espace ecclésial et les pratiques cultuelles, celles-ci servant à mieux cerner celui-là dans lesquelles elles prennent place. En introduisant le concept d’espace vu à travers son histoire récente et ses usages historiographiques, N. Reveyron rappelle notamment que les liens entre architecture et liturgie ne sont pas seulement propres à l’intérieur du contexte bâti, mais se jouent également à l’extérieur, ce qui entoure l’église se trouvant ainsi englobé dans « l’espace ecclésial ». Ceci précisément par les pratiques liturgiques qui y sont faites, parfois jusque dans des lieux éloignés, comme dans le cas des processions qui quittent l’église et parcourent une certaine distance. Donnant un exemple de ces liens entre organisation spatiale et pratiques liturgiques, A. Rauwel revient sur la question de l’orientation des autels au Moyen Âge – versus orientem ou versus populus –, démontrant que les réponses proposées à ce sujet ont été élaborées à rebours, en plaquant aux premiers temps chrétiens des conceptions liturgiques du XXe siècle : penser même à la possibilité d’une célébration versus populum au Moyen Âge trahirait ici une conception contemporaine du rapport des prêtres aux fidèles selon l’auteur. En conséquence, le relatif silence des sources serait plutôt à prendre comme le signe que l’orientation des autels à l’ouest était sans doute un usage si ancré qu’il n’était pas nécessaire de le préciser dans les textes. Pour A. Rauwel, une célébration versus populum ne saurait être une norme dans un Moyen Âge où la messe ne s’adresse pas forcément en premier lieu aux fidèles puisqu’elle « n’est pas anthropocentrée mais théocentrée » (p. 23).  Un article commun d’A. Baud et G. Rollier tente ensuite de retracer l’organisation de l’espace à Cluny en mettant en regard les sources archéologiques et le plus ancien des trois coutumiers conservés à ladite abbaye, le Liber tramitis aevi Odilonis (ca. 1027-1030). Il se révèle ici délicat de faire coïncider la source conceptuelle avec la réalité archéologique observée : comme le plan idéal de Saint-Gall dessiné au IXe siècle, cette description de Cluny est, pour les auteurs, avant tout un programme et un modèle, qui retrace l’organisation idéale moins topographique que liturgique d’un espace hiérarchisé et marqué par une large place accordée aux laïcs, et où se lit finalement une certaine forme d’identité liturgique clunisienne. C. Lauranson-Rosaz propose alors d’analyser cette organisation liturgique de l’espace à échelle cette fois d’une ville entière, Clermont. À partir du De ecclesiis vel altaria que in Clarmonte consistunt, inventaire des édifices religieux de la ville au tournant de l’an Mil, il montre que s’y délimite un espace ecclésial à échelle véritablement urbaine, grâce à une ceinture d’églises et de nécropoles épiscopales. La source présentée, véritable itinéraire des églises de Clermont  peut-être à usage des pèlerins, témoigne ici de l’appropriation de l’espace par la liturgie, appropriation qui peut également se faire l’expression d’une forme de religion civique. 

 

            Dans la continuité de cette première partie, Y. Esquieu, qui en ouvre une seconde sur l’« Organisation de l’espace ecclésial », revient sur la difficulté à articuler architecture et liturgie dans les recherches en histoire et archéologie, et propose d’y voir une résultante non pas seulement du cloisonnement des domaines de recherches, mais également d’une historiographie laïque peu intéressée par la fonction liturgique des lieux consacrés. Il invite donc à mettre l’accent sur les usages du monument qu’est l’église, tout en rappelant que ces usages ne sont pas uniquement liturgiques, mais bien multiples. Un exemple en est donné par A. Lamauvinière dans son étude de la collégiale de Saint-Étienne de Troyes, attenante au palais des comtes de Champagne et lieu de recueil des dépouilles de ces derniers. Tout en retraçant la fonction liturgique du lieu, l’auteur évoque également les autres fonctions de la collégiale et entre autres son rôle politique précoce, le chapitre gérant ici la finance des comtes et entretenant la mémoire de leur lignée. T. Creissen propose encore un autre exemple de cette multiplicité des usages de l’espace ecclésial dans le cas de la clôture de chœur de la cathédrale vénitienne de Torcello. Cet élément du dispositif liturgique n’a pas eu une utilité limitée aux pratiques cultuelles seules et a probablement servi les intérêts particuliers de l’évêque qui a pu en ordonner la construction. En effet la clôture de chœur semble s’associer ici à la sépulture de l’évêque Pierre V, celle-ci étant placée juste au-devant de celle-là, faisant de l’ensemble un véritable monument funéraire et non pas un simple support à la liturgie. S. Bully retrace quant à lui la complexité de l’organisation et de la circulation qui se joue au sein de Saint-Claude, dans le Jura, où deux églises distinctes au sein d’un même site scindent un même espace ecclésial en deux pôles. Or, au lieu de réduire cette bipolarisation spatiale, les grands chantiers de l’an Mil l’ont ici pérennisée en conservant systématiquement deux églises principales et en construisant une galerie les reliant, créant ainsi entre celles-ci un espace de circulation et de liaison – comme devait l’être également le grand cloître en tant qu’espace intermédiaire. Signe de la complexité de ses fonctions liturgiques et funéraires, l’espace ecclésial, même lorsqu’il est réorganisé, n’en est pas pour autant simplifié. A.-F. Douard-Borel évoque enfin les grandes transformations de l’espace monastique de l’abbaye d’Ambronay en en retraçant l’histoire et l’évolution architecturale à travers les principaux chantiers, tout particulièrement à l’époque moderne, jusqu’au XVIIIe siècle.

 

            « Les espaces figurés médiévaux », troisième partie de ces actes, s’intéresse à la place du décor et de l’œuvre figurée au sein de l’espace ecclésial. En l’introduisant B. Phalip rappelle encore que l’appropriation de l’espace ecclésial, faite par deux groupes dont les volontés peuvent diverger – laïcs et clercs –, est l’objet d’enjeux dépassant la seule liturgie. Les images en sont un exemple : elles n’ont pas seulement une fonction rituelle mais valent aussi pour elles-mêmes, hors de leur seul usage liturgique, et qui surtout sont au Moyen Âge l’objet de nombreux débats qui montrent les sensibilités parfois opposées s’affrontant dans cette appropriation de l’espace par l’image. Images et décor structurent l’espace ecclésial, comme le voit C. Roux avec l’arc triomphal qui permet de délimiter et même « d’individualiser » les parties orientales des églises. Définissant et caractérisant cet élément architectural et décoratif à la fois, C. Roux montre que cet arc témoigne de l’affirmation de la notion de triomphe au sein de l’édifice de culte chrétien, non sans lien, malgré quelques divergences, avec les valeurs associées à l’arc de triomphe romain. En permettant de définir spatialement un espace valorisé, l’arc triomphal assure ainsi une structuration hiérarchique des espaces liturgiques au sein de l’ecclesia. Les articles suivants abordent quant à eux, tous à leur manière, le lien et la dynamique iconographique qui se joue entre différentes images réparties au sein d’un même ensemble monumental. La dynamique en question est d’abord intellectuelle dans le cas des sept chapiteaux romans du « cycle de l’enfance » de la cathédrale de Lyon, analysés par N. Reveyron : l’entrecroisement entre narration et exposition théologique et les liens qui se tissent entre les sculptures au sein de l’ensemble permettent à l’auteur d’y voir une véritable construction « exégétique ». Cette dynamique devient également physique dans les programmes iconographiques du XIIe siècle des portails de Montceaux-L’Étoile et Anzy-Le-Duc (au sud de la Saône-et-Loire) : M. Guénot démontre notamment que dans ce dernier site, l’éclatement iconographique sur plusieurs murs induit une circulation d’un portail à l’autre au sein du prieuré, et donc une mobilité physique et un cheminement tant iconographique qu’intellectuel. Enfin, en s’intéressant également à Civate, Berzé-La-Ville ainsi qu’au plan de Cluny III, J. Rollier-Hanselmann revient sur ce qui fait lien entre les œuvres figurées et les pratiques religieuses dans chacun de ces lieux, et voit également dans ce même portail d’Anzy-Le-Duc un parcours de rédemption pour les pèlerins, impliquant cette fois encore tout un cheminement symbolique du fidèle mis devant l’œuvre.

 

            La quatrième partie de l’ouvrage, « Espace ecclésial, espace funéraire » revient sur les usages des établissements religieux ayant trait aux morts et à leur mémoire. J. Tardieu y fait un état de la recherche en Rhône-Alpes et Auvergne, et rappelle les acquis généraux de l’historiographie concernant la place des morts au Moyen Âge dans la société comme dans l’espace ecclésial lui-même, et évoque alors les différences observées selon les bâtiments, leur statut, leur caractère urbain ou rural. Par une étude des inscriptions funéraires, C. Treffort propose ensuite une réflexion sur la fonction mémorielle de l’espace ecclésial, vu comme espace de commémoration des morts autant que du Christ et de sa résurrection. Dans un réel effort de définition de l’objet de ce colloque, « l’espace » ecclésial, elle en montre les différentes délimitations physiques et théoriques tout en affirmant le caractère immatériel d’un espace qui s’appréhende par la pensée et qui reste en lien avec l’au-delà. C’est encore de mémoire – et de son rapport au pouvoir – qu’il est question dans les articles de J. Bujard et G. Boto. Le premier voit dans les pratiques funéraires des seigneurs de Neuchâtel et de Valangin, qui se partagèrent l’actuel canton de Neuchâtel entre le XIIIe et le XVIe siècle, des usages typiques des familles seigneuriales européennes de leur temps : chacune des deux familles démontre en effet un réel souci lignager par la mise en valeur de ses sépultures et leur regroupement dans une même collégiale – même si cette concentration des ossements a été moindre pour les Valangin. G. Boto analyse quant à lui le même type de phénomènes de regroupement ou de dissémination de tombeaux dans le cas des sépultures royales espagnoles. Revenant sur une historiographie qui a fait notamment de la dispersion des sépultures des rois castillans un signe de puissance et d’individualisation royale, G. Boto démontre que cette déconcentration restait toute relative, et parfois dictée par les événements. Le cas du royaume de Majorque, où l’éparpillement des sépultures révèle à l’inverse une fragilité du pouvoir royal, permet de nuancer ces interprétations de la dispersion funéraire royale castillane. Et G. Boto compare ces pratiques à celles de la couronne d’Aragon, qui reconnaissait l’importance d’attacher le lignage à un seul panthéon permettant d’exhiber une image forte du pouvoir royal. À une échelle plus localisée, s’intéressant à l’organisation interne des espaces conventuels, L. d’Agostino entrecroise sources archivistiques et archéologiques pour aborder les espaces funéraires des commanderies du Temple et de l’Hôpital de Saint-Jean de Jérusalem dans le prieuré d’Auvergne, du XIIe au XVIe siècle. Il analyse au sein de ces maisons la place des espaces funéraires et les différents modes d’inhumation des frères, notamment autour de l’exemple des sépultures en habits et des monuments funéraires, montrant ainsi que ces commanderies étaient également des lieux d’inhumation à part entière.

 

            Introduisant la dernière partie de ces actes, intitulée « Espace ecclésial et pèlerinage », J.-F. Reynaud propose une rapide mise au point sur les origines du culte des reliques, en se concentrant une fois encore sur des cas régionaux. En raccrochant à cette histoire cultuelle les évolutions de l’architecture religieuse, il met en avant les transformations subies par les cryptes et l’organisation de l’église parallèlement au développement de la vénération des corps saints. A. Antonini illustre le propos en donnant, avec l’histoire de l’abbaye de Saint-Maurice d’Agaune dont il fait l’esquisse, un exemple d’aménagement architectural lié au culte des reliques. C. Sapin revient ensuite sur le cas des cryptes, en questionnant le rôle de leurs autels. Même si ceux-ci ne sont en rien obligatoires, la tendance générale semble être au Moyen Âge de placer dans la crypte un ou plusieurs de ces autels qui sont liés au culte des reliques ici conservées ou qui sont destinés à des messes privées en souvenir des défunts – notamment à partir de l’époque carolingienne. À travers l’exemple des visites aux autels, le même auteur montre que ces derniers participaient à des moments forts de la liturgie, mais que leur placement particulier, dans une crypte, impliquait une organisation particulière de l’espace, du fait de son étroitesse ainsi que des règles de circulation qui se trouvent alors être bien différentes de celles de l’église supérieure. Cette différenciation entre espace ecclésial supérieur et inférieur trouve un autre écho dans le cas des cryptes romanes du Mont Saint-Michel, étudiées par F. Margo. On apprend avec celui-ci que ces cryptes ne sont en fait devenues « souterraines » que tardivement, quand des constructions ultérieures sont venues les ceinturer ou prendre appui sur elles. Ainsi la chapelle Notre-Dame-sous-Terre, qui dominait auparavant l’espace, a-t-elle été progressivement cernée par de nouveaux édifices romans, au point de paraître enterrée. Ce changement de position aurait alors entraîné une dynamique d’échanges liturgiques entre église haute et église basse, et le remaniement interne observé dans la chapelle résulterait peut-être de cette évolution de ces habitudes liturgiques, la chapelle cryptique prenant progressivement un rôle de premier ordre dans les pèlerinages au Mont. Un article commun de R. Guild, F. Heber-Suffrin et A. Wagner présente enfin une autre organisation ecclésiale en partie déterminée par les pèlerinages et le culte des saints, celle de Verdun, largement liée au monastère féminin de Saint-Maur. Ce dernier, fondé par l’évêque Haymon (988-1024), a remanié la topographie religieuse de la cité dont il sacralise et protège l’espace. En tant qu’élément d’un programme réformateur qui souligne la mainmise des évêques sur les fondations monastiques, il a également contribué ici à l’affirmation du pouvoir épiscopal. En son sein même, l’abbaye présente de plus un exemple de conciliation entre le culte des saints, assuré par l’accès des laïcs à une partie de l’abbatiale, et le respect de la clôture pour les religieuses, qui restent isolées. La crypte elle-même a pu être adaptée fonctionnellement aux exigences de la piété populaire envers un culte ici très particulier puisqu’il est voué à des saints thaumaturges – l’un des rares cas documentés et durables de saints thaumaturges en Lorraine – spécialisés dans les affections liées à la maternité, de la conception à l’accouchement.

 

            L’excipit qu’offre J. Terrier à l’ouvrage en est déjà un compte rendu en soi, qui tente de relire et de rapprocher les différentes collaborations à défaut de proposer une synthèse englobante d’articles qui, comme dans tout colloque, restent très spécialisés, marqués par une diversité d’approches peu propice à une conclusion unifiée mais offrant plutôt différentes pistes d’analyse.

 

            On notera malgré tout que certains éléments communs de définition de « l’espace ecclésial » transcendent la diversité des collaborations présentées et permettent de donner des caractéristiques unifiées à cette notion, et l’on regrettera un peu qu’ils ne soient pas mieux mis en avant dans ce colloque dont l’un des buts affichés était précisément de définir ledit espace. Conclure à un simple constat de la polymorphie de cette définition ne rend pas pleinement compte des apports des articles de ces actes, qui permettent de tirer quelques idées communes sur le sujet.

 

            Tous les auteurs en effet ont d’abord à cœur d’affirmer d’une même voix que ce qui fait l’espace ecclésial, contrairement au lieu église, ne saurait être les limites ou l’architecture d’un édifice, mais bien l’appropriation ecclésiale qu’en font les hommes, au point de porter cet espace hors les murs de l’église : les articles de C. Lauranson-Rosaz et de R. Guild, F. Heber-Suffrin et A. Wagner en étendent même les limites à l’échelle d’une ville, Clermont pour l’un, Verdun pour les autres. En rappelant que l’ecclesia est d’abord l’assemblée des fidèles, C. Treffort souligne que l’espace ecclésial est celui qu’ils occupent, son sens pouvant alors être étendu à la chrétienté toute entière. Chaque communication, même celles abordant l’organisation architecturale des édifices religieux, font ressortir cette part d’immatériel dans l’espace ecclésial, ainsi que la difficulté à en préciser les contours : N. Reveyron insiste d’ailleurs sur le fait qu’en tant qu’espace il est avant tout une étendue, « sans dimension ni limite. » (p. 14) Espace de commémoration, il est défini au premier chef par les pratiques cultuelles et religieuses qui s’y jouent : la part de la liturgie dans cette définition de l’espace ecclésial peut se lire aisément ici dans la tendance notable qu’ont certains des auteurs à le rebaptiser « espace liturgique », et à glisser régulièrement de l’une à l’autre de ces dénominations.

 

            Mais comme on l’a dit, la liturgie n’est pas le cœur même du sujet, et malgré ce glissement de sens, c’est un autre point commun des collaborations présentées dans ce colloque que de montrer de manière à peu près unanime que la liturgie ne peut à elle seule définir cet espace. Les articles d’A. Lamauvinière et T. Creissen entre autres démontrent la multiplicité des usages de l’espace ecclésial, qui débordent largement le cadre liturgique et ne sont pas nécessairement conditionnées par celui-ci : les représentations du pouvoir participent aussi de la définition d’un espace aux multiples fonctions. De plus, comme l’illustre Y. Esquieu, si l’espace ecclésial est certes défini par des usages, ceux-ci se fixent cependant dans un contexte spatial qui n’est pas uniquement pensé pour la liturgie, comme le sont par exemple le plan basilical, emprunté au répertoire architectural romain plutôt que créé pour des besoins liturgiques, ou le transept, qui semble n’avoir à l’origine aucune absolue nécessité liturgique, certaines églises en étant dépourvues.

 

            Le principal apport de ce colloque, au-delà de la diversité des approches qu’il propose, semble donc plutôt résider dans ces lignes communes d’analyse d’une ecclesia définie non par ses murs ou son architecture, mais par ses usages, permettant ainsi de mettre en avant des pratiques cultuelles et funéraires, des perceptions et des représentations qui se trouvent au cœur de cet espace ecclésial.

 

 

Sommaire

 

A. Baud - Introduction générale, p. 7

 

Architecture et liturgie, de l’espace au lieu

N. Reveyron - Introduction, p. 11

A. Rauwel - L’orientation des autels : un problème mal posé ?, p. 21

A. Baud, G. Rollier – Liturgie et espace monastique à Cluny à la lecture du Liber Tramitis, Descriptione Monasterii et données archéologiques, p. 27

C. Lauranson-Rosaz – Espace ecclésial et liturgie en Auvergne autour de l’an mil à partir du Libellus de Sanctis ecclesiis et Monasteriis Claromontii, p. 43

 

Organisation de l’espace ecclésial

Y. Esquieu – Introduction, p. 67

S. Bully – Familles d’églises et circulations : le cas de l’abbaye de Saint-Claude (Jura) du Ve siècle au XVIIIe siècle, p. 75

A.-F. Douard-Borel – L’abbaye d’Ambronay, des Bénédictins aux Mauristes, transformation de l’espace monastique, p. 91

A. Lamauvinière – Les pratiques cultuelles et dévotionnelles dans la collégiale de Saint-Étienne de Troyes au Moyen Âge, p. 103

T. Creissen – La clôture de chœur de la cathédrale de Torcello, p. 115

 

Les espaces figurés médiévaux

B. Phalip – L’espace ecclésial, les aménagements liturgiques et la question iconographique, p. 135

C. Roux – À propos de l’arc triomphal : origine, formes et emplacements dans l’espace ecclésial (IVe-XIIe siècle), p. 153

N. Reveyron – Spatialisation iconique et rhétorique de l’image dans la lecture du cycle de l’enfance de la cathédrale de Lyon (XIIe siècle), p. 183

M. Guénot – De la statique à la dynamique : le fidèle face aux programmes iconographiques, p. 199

J. Rollier-Hanselmann – Ecclésiologie clunisienne et parcours liturgique : Berzé-La-Ville, Civate et Anzy-Le-Duc, p. 209

 

Espace ecclésial, espace funéraire

J. Tardieu – Les espaces funéraires, p. 231

C. Treffort – Espace ecclésial et paysage mémoriel (IXe-XIIIe siècle), p. 239

L. d’Agostino – Espaces funéraires et inhumations dans les maisons de l’hôpital Saint-Jean de Jérusalem : le cas du prieuré d’Auvergne (XIIe-XVIe siècle), p. 253

G. Boto – Panthéons royaux des cathédrales de Saint-Jacques-de-Compostelle et de Palma de Majorque. À la recherche d’un espace funéraire qui n’a jamais été utilisé, p. 275

J. Bujard – Les sépultures des seigneurs de Neuchâtel et de Valangin (canton de Neuchâtel, Suisse), p. 311

 

Espace ecclésial et pèlerinage

J.-F. Reynaud – Introduction, p. 323

A. Antonini – Aux origines du pèlerinage de Saint-Maurice d’Agaune, p. 327

C. Sapin – L’autel, son rôle et sa place dans la crypte, p. 331

R. Guild, F. Heber-Suffrin, A. Wagner – Saint-Maur dans l’organisation ecclésiale de Verdun. Un monastère de femmes et son pèlerinage, p. 347

F. Margo – Les cryptes romanes du mont-Saint-Michel : ordonnance des espaces, p. 369

 

J. Terrier – Conclusion, p. 379