Guillaume, Jean (dir.): Jacques Androuet du Cerceau. "Un des plus grands architectes qui se soient jamais trouvés en France", 321 p., ISBN: 978 2 7084 0869 2; prix: 65 euros. (Picard, Paris 2010)
Rezension von Kristina Deutsch, EPHE Paris / Technische Hochschule Dresden
Anzahl Wörter : 3725 Wörter Online publiziert am 2010-09-20 Zitat: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700). Link: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=1075
Son talent pour
l’adoption et la variation de modèles, son imagination abondante, mais aussi
son intuition pour la demande du marché, ont fait de lui l’un des principaux
représentants de la
Renaissance française. Grâce à son don extraordinaire pour
assimiler des prototypes italiens, probablement sans jamais avoir mis le pied sur la péninsule, il
revêtit un rôle fondamental au sein de la migration des langages, du Sud vers
le Nord. Jacques Androuet Du Cerceau (1520-1586), graveur d’ornements et
d’architecture, nous a laissé environ 1700 gravures à l’eau-forte et 1200
dessins, constituant des recueils de modèles et une anthologie sur les Plus excellents bâtiments en France (2
tomes, Paris, 1576-1579). Il est « le graveur de loin le plus fécond du
XVIe siècle » (P. Fuhring, p. 56), mais sa véritable importance pour
l’évolution artistique de la
Renaissance française,
jusqu’à aujourd’hui, a largement échappé à la recherche, faute d’un
outil approprié permettant d’appréhender son œuvre. Ces temps sont désormais
révolus, grâce à l’ouvrage collectif dirigé par Jean Guillaume en collaboration
avec Peter Fuhring, paru à l’occasion de l’exposition « Androuet Du
Cerceau (1520-1586). L’inventeur de l’architecture à la française ? »
à la Cité de
l’architecture et du patrimoine à Paris (10 février à 9 mai 2010). Il ne s’agit
pas d’un catalogue, mais du fruit du travail d’un groupe de chercheurs qui
s’est formé il y a quelques années autour de Jean Guillaume, de spécialistes de
l’architecture et de la gravure décidés à remettre en question tout ce que l’on
croyait savoir sur cet artiste.
Avec ce
livre, pour la première fois depuis la monographie sur « Les Du Cerceau,
leur vie et leur œuvre » d’Heinrich von Geymüller (Paris et Londres,
1887), la recherche dispose d’une étude d’envergure sur ce sujet. L’ouvrage de
Geymüller a été dépassé par les découvertes faites successivement à partir des
années 1950 : de nouveaux recueils de dessins sont apparus et les historiens de
l’architecture se sont de plus en plus intéressés à Du Cerceau. Il fallait donc
repartir à zéro et réétudier les multiples aspects de l’œuvre du graveur,
dessinateur et architecte. Outre les contributions des différents chercheurs,
le nouveau livre comporte une annexe avec la transcription (et, lorsqu’ils sont
en latin, la traduction française) des pages de titre, dédicaces et avis au
lecteur des recueils, souvent difficilement accessibles. À la suite de cette
annexe, on trouve un catalogue sommaire de tous les recueils d’estampes et de
dessins de Du Cerceau, rédigé par Peter Fuhring – un corpus critique qui, à lui
seul, suffirait à donner une nouvelle base solide aux futures études. En outre,
paraîtra bientôt un catalogue raisonné, préparé par le même auteur en
collaboration avec le Département des Estampes et de la photographie de la Bibliothèque
nationale de France pour remplacer le premier tome de l’Inventaire du fonds français des graveurs du XVIe siècle, édité par la BnF. Ce tome avait été publié par André Linzeler en 1932
sur la base du livre de Geymüller, ce qui explique la nécessité d’un nouveau
catalogue. D’autres projets sont liés au travail de l’équipe de recherche
nommée précédemment. Outre l’exposition à la Cité de l’architecture et du patrimoine, un
catalogue numérique sera mis en place à la bibliothèque de l’Institut national
de l’histoire de l’art (INHA). Claude Mignot et Françoise Boudon viennent
également de publier Les dessins des Plus
excellents bâtiments de France conservés au British Museum à Londres
(Paris, 2010). Comme l’ouvrage collectif dirigé par Jean Guillaume, ce livre
est dédié à la mémoire de David Thomson, initiateur des nouvelles recherches
sur Du Cerceau et spécialiste de ce sujet, qui a collaboré avec l’équipe
jusqu’à sa mort en 2009. Enfin, Sylvie Deswarte-Rosa et Daniel Regnier-Roux
viennent de publier une étude sur le recueil de dessins de Du Cerceau, conservé
à la bibliothèque municipale de Lyon.
Le
nouvel ouvrage collectif de J. Guillaume et de P. Fuhring se trouve donc au
cœur d’une « nouvelle vague » de recherches sur notre graveur. Les
différentes contributions y sont réparties en trois catégories titrées
« Vie et œuvre », « De la copie à l’invention : les années
de formation » et « Du Cerceau créateur ». Ainsi a-t-il été
possible de « proposer une lecture cohérente et d’esquisser à grands
traits le ‘parcours’ de l’artiste de 1540 à 1585 » (J. Guillaume, p. 289).
« Vie
et œuvre »
Résumant son
parcours au début du livre, Jean Guillaume permet au lecteur, par cette base
solide, d’aborder les études des différents spécialistes, consacrées à des
aspects particuliers de l’œuvre. Fils d’un marchand de vin du nom d’Yves
Androuet, Jacques Androuet est né vers 1520. Le magasin de son père à Paris
portait comme enseigne un cerceau, ce qui explique le surnom de l’artiste. La
première trace de son activité de graveur à l’eau-forte se trouve en 1539,
quand on lui demanda de graver une carte du Maine. Ses premières
publications sont des suites de modèles gravées ou dessinées, consacrées à
l’ornement et à l’interprétation de l’architecture antique. En 1545, Du Cerceau
reçut un privilège de la part de François Ier qui protégeait sa
production déjà abondante. L’année suivante il s’établit à Orléans, où il
continua la publication de livres de modèles à l’antique. Après 1551, sans que
l’on en connaisse la raison, Du Cerceau retourna à Paris, où l’architecture de
son époque devint son intérêt principal. Il commença son travail pour les Plus excellents bâtiments de France et
dans ses Livres d’architecture de 1559
et 1561, il élabora des modèles inspirés par les constructions de son époque,
destinés aux bâtisseurs. C’est à cette période qu’il laissa frapper une
médaille avec son portrait en profil, portant l’inscription :
« Jacques Androuet du Cerceau architecte parisien âgé de 41 ans » (p.
24). Cette médaille, dont Jean Guillaume a retrouvé un exemplaire au British
Museum à Londres, fait comprendre le statut social élevé de l’artiste, bien
que « le ‘triomphe’ de Du Cerceau à
Paris fut de courte durée. Les affrontements religieux qui commencent en 1560
vont bouleverser sa vie » (p. 25). De religion protestante, Du Cerceau se
réfugia avec sa famille à Montargis, domaine de Renée de France, duchesse de
Ferrare, et « calviniste sincère » (p. 25). Il s’occupa de l’entretien
du château de Montargis et en 1572 il est mentionné dans les comptes en tant
que « maître Jacques Du Cerceau architecte de Madame ». Les sublimes
dessins sur vélin liés aux Plus
excellents bâtiments conservés au British Museum, sont probablement
faits pour sa protectrice. Les deux tomes gravés pourtant, publiés en 1576 et
1579, sont dédiés à une autre femme puissante : la reine mère Catherine de
Médicis. L’artiste savait obtenir le soutien des puissants – protestants ou
catholiques – pour réaliser ses projets. Ainsi dédia-t-il son troisième Livre d’architecture (1682) à Henri III,
roi dont Baptiste, son fils ainé, devint l’architecte préféré. Du Cerceau père
se vit désigné « architecte du roi » et décéda probablement en 1586,
quand ses enfants se partagèrent sa succession. (Jean Guillaume, « Qui est
Jacques Androuet du Cerceau ? », p. 17-33).
L’œuvre
gravé et dessiné est le sujet de deux contributions de Peter Fuhring qui met
l’accent sur un aspect généralement négligé par les historiens de
l’architecture : la forme et la matérialité des estampes de Du Cerceau,
qui, au-delà de leur valeur documentaire, sont des œuvres d’art à part entière
et suivent des objectifs variés tout en étant sujettes aux contraintes
matérielles. Impossible de comprendre, par exemple, la fonction d’une suite de
Du Cerceau sans prendre en compte le contexte historique du monde parisien de
l’édition au XVIe
siècle. Une suite d’estampes est un ensemble des planches, plus ou moins
cohérent, proposant des variations sur un sujet, suivant l’idée de variétà formulée, par exemple, par Leon
Battista Alberti : « De ce fait, il devient secondaire de comprendre la
véritable source des compositions », puisque la frontière entre la copie
et l’invention d’un modèle se dissout (p. 50). En effet, ce que démontrent
toutes les contributions, traitant des interprétations de l’architecture
antique et moderne et des modèles de décoration, c’est que Du Cerceau
« s’inspire des compositions des autres, mais il les transforme toujours
pour en faire quelque chose de personnel » (p. 56). Si les recherches à
venir pourront se concentrer sur l’étude de cette ambiguïté fascinante, c’est aussi grâce à la
clarification des attributions des gravures pour la plupart non signées. En
résulte aussi une meilleure compréhension de l’évolution du style de Du
Cerceau, tranchant avec le système établi par Geymüller, qui distinguait trois
manières différentes qui se seraient succédé au cours des années. « Les
différentes manières de graver ne résultent pas d’une évolution linéaire, comme
l’avait pensé Geymüller : elles coexistent » (p. 42). C’est le sujet
qui dicte l’emploi de la manière, « artistique » ou
« technique » : un trait libre pour les figures, « un
système de lignes parallèles » pour l’architecture, une combinaison des deux
pour l’ornement (p. 39). Il semble aussi que Du Cerceau disposait de l’aide
d’un atelier, mais étant donné l’homogénéité des gravures à partir de
1551, « cet atelier se limite à la
période orléanaise où son activité culmine dans les années 1550 et 1551 »
(p. 42). Du Cerceau savait donc adapter
son style à une large gamme de thèmes, qui suivait la demande de sa clientèle.
Contrairement à ce que l’on croyait jusqu’à aujourd’hui, cette clientèle ne se
composait pas seulement d’amateurs érudits : un exemplaire des Détails des ordres (vers 1545), conservé
à Saint-Pétersbourg, par exemple, appartenait au maître maçon Germain Dubois
d’Orléans, dont il porte l’ex-libris manuscrit
daté de 1566. (Peter Fuhring, « L’œuvre gravé », p. 35-58.)
En
rectifiant le catalogue de Geymüller, on peut aujourd’hui attribuer 18 recueils
de dessins à Jacques Androuet Du Cerceau, exécutés pour la plupart (sauf le
recueil conservé à la bibliothèque municipale de Lyon) sur vélin, le matériau
le plus cher qui soit. Il ne s’agit pas de dessins préparatoires pour la
gravure mais d’œuvres représentatives, réalisées sans doute sur commande.
Certains dessins représentent les mêmes sujets que les estampes en les
variant ; un modèle peut être repris de manière différente dans plusieurs
dessins et dans la gravure – un jeu que Du Cerceau maîtrisait à la perfection.
Peter Fuhring en donne un exemple parlant : à partir d’une gravure anonyme
des années 1540 (au plus tard), Du Cerceau
a dessiné quatre variations distinctes d’une coupe d’église pour des
recueils différents et en grava une cinquième pour les Temples (1550), tout en arrivant chaque fois à un résultat
convaincant (p. 67 et fig. 73). (Peter Fuhring, « Du Cerceau
dessinateur », p. 59-71.)
« De la copie à l’invention : les
années de formation »
L’étude des dessins
démontre ainsi ce qui est également prouvé par les autres contributions de
l’ouvrage : le travail de Du Cerceau est fondé sur la variation ingénieuse
d’un modèle, et ceci depuis le début de sa carrière, jusqu’à sa fin. Pour cette
raison, le titre de la deuxième section « de la copie à l’invention »
nous semble mal choisi, puisqu’il suggère une évolution chronologique partant
du décalque à l’évolution d’une œuvre originale. Cette dernière serait donc
étudiée dans la troisième section, titré « Du Cerceau créateur ».
Or, n’étant jamais un
« copiste » pur et simple, il est toujours aussi
« créateur », parce qu’il invente en imitant et, inversement,
emprunte des éléments en créant un modèle de sa propre imagination. Dans ce
sens, Claude Mignot se demande avec raison s’il était « pertinent
vouloir marquer une frontière entre dessins ou gravures de reproduction et
d’invention, quand l’art de Du Cerceau l’ignore » (C. Mignot, « Le
langage architectural : langue commune et ‘gentilles inventions’ »,
p. 231-240, ici p. 231). En effet, la méthode de Du Cerceau suit une
psychologie bien plus complexe, en vigueur dès ses premières interprétations de
l’architecture à l’antique. C’est ce que fait comprendre la contribution de
Hubertus Günther, analysant les dessins et gravures inspirés par l’antiquité,
dont Du Cerceau a une image très personnelle.
Un voyage en Italie ne peut pas être prouvé, ni une connaissance
approfondie des traités théoriques. Ses
« caprices architecturaux » ou « paraphrases de bâtiments
antiques », suivent des modèles dessinés et imprimés qui ne sont pas
toujours identifiables (p. 77, 79).
Toutefois, outre Sebastiano Serlio, une de ses sources était Guillaume
Du Choul : « Ce grand antiquaire lyonnais (1496-1560) étudiait l’histoire
de la civilisation romaine en se référant non seulement à la littérature et aux
inscriptions, mais aussi aux monnaies, considérées comme un témoignage
essentiel, dont il possédait une importante collection » (Hubertus
Günther, « Du Cerceau et l’Antiquité », p. 75-90, ici p. 82).
Quant à
l’architecture moderne, le répertoire des formes de Du Cerceau était marqué par
les estampes et dessins d’un artiste originaire des anciens Pays-Bas, et en
même temps « profondément marqué par la culture architecturale de Venise
et de l’Italie du Nord autour de 1500 » (p. 105). Ce personnage, qui, en
l’état actuel des recherches, doit rester anonyme, est surnommé le
« Précurseur » par Krista De Jonge. C’est à lui que l’on doit aussi
une partie des estampes auparavant attribuées à Du Cerceau. Geymüller, nous
l’avons dit, avait classé l’œuvre gravé de Du Cerceau en trois
« manières » successives. La « première manière »
correspondait à un groupe de représentations d’architecture et d’orfèvrerie datables
des années 1530 et très différentes des autres gravures de l’artiste. De Jonge
peut démontrer que l’auteur de ce groupe d’estampes, ainsi que de plusieurs
dessins, est « un maître indépendant et plus âgé que Du Cerceau, qui a
exercé sur lui une forte influence » (p. 93). (Krista De Jonge, « Le
‘Précurseur’. Du Cerceau et les anciens Pays-Bas », p. 91-107).
Du
Cerceau peut avoir eu connaissance des travaux du « Précurseur » par
la voie des artistes flamands actifs à Fontainebleau entre 1530 et 1540. En ce
qui concerne la relation entre notre graveur et ce que l’on appelle l’art de
l’« école de Fontainebleau », elle est réétudiée dans une autre
contribution de Peter Fuhring. Loin de calquer les décors du château, Du
Cerceau s’inspire des créations des artistes italiens, flamands et français
actifs dans ce cercle. Contribuant au pôle d’inventions de l’école de
Fontainebleau, il doit être considéré comme en faisant partie. Important est
aussi son lien avec Léonard Thiry, collaborateur de Rosso Fiorentino et dessinateur des Fragments d’architectureantiques,
gravés par Du Cerceau et publiés dans une suite de douze planches en 1550 à
Orléans. À l’époque, la formule des suites de modèles gravés en taille-douce,
proposant des variations sur un sujet, était encore nouvelle ; Thiry et Du
Cerceau étaient des pionniers dans ce domaine (Peter Fuhring, « Du Cerceau
et Fontainebleau », p. 109-121.)
C’est
également vrai pour Sebastiano Serlio qui a publié une suite de neuf planches
consacrées aux ordres, gravées par Agostino Veneziano (Venise, 1528). En 1541,
il devient architecte du roi français et s’installe à Fontainebleau. Sans que
l’on connaisse les conditions exactes de leur rencontre, l’œuvre de Du Cerceau
est marquée de manière décisive et durable par celle de Serlio. Dans les
recueils du français se trouvent nombreuses variations des planches des
différents livres du Bolonais, mais aussi, sans doute, de dessins et de relevés
inédits provenant du portefeuille de ce dernier. Tous deux ont conçu une suite de portes, sans
que l’on sache à qui en attribuer l’idée première : les Arcs de triomphe modernes et antiques de
Du Cerceau sont parus en 1549 à Orléans, le Libro
Straordinario de Serlio en 1551 à Lyon. Le Livre d’Architecture de 1559 témoigne encore de l’emprise de
Serlio. Comme ce dernier dans son Sixième
livre resté manuscrit jusqu’au XXe
siècle, Du Cerceau y présente des modèles pour des habitations d’envergure
différente, variant des dessins de Serlio, dont son projet pour le château
d’Ancy-le-Franc. En interprétant de tels dessins, Du Cerceau essaie de
concilier les formes classiques avec la tradition locale, en suivant sa propre
idée d’une architecture moderne. La confrontation des deux artistes a ainsi
déclenché un dialogue entre la
France et l’Italie dans l’œuvre du graveur, regorgeant d’une
puissante créativité (Sabine Frommel, « Jacques Androuet du Cerceau et
Sebastiano Serlio : une rencontre décisive », p. 123-139).
« Du
Cerceau créateur »
Cette
force se manifeste tout autant dans ses livres de modèles que dans ses
représentations de bâtiments réels, estampes et dessins qui sont étudiés dans
la troisième section consacrée à « Du Cerceau créateur ». Suivant de
manière chronologique ses inventions d’ornements et d’architecture,
J. Guillaume montre comment, en partant de l’interprétation des antiques,
il développe un nouveau répertoire d’ornements pour l’architecture française.
Du Cerceau apparaît ainsi avant tout comme un ornemaniste, ce qui le distingue
de Serlio qui l’a tant influencé : « les inventions de Serlio sont
celles d’un architecte et ses modèles pourront être imités, celles de Du
Cerceau sont celles d’un créateur d’ornements à l’imagination inépuisable,
mais, le plus souvent, on les voit mal réalisées dans la pierre » (p.
179). (Jean Guillaume, « Ornement et architecture », p. 143-182).
Néanmoins,
Du Cerceau doit être placé « au premier rang des protagonistes de
l’architecture française du XVIe
siècle », comme le démontre Monique Chatenet face aux modèles
d’habitations rassemblés dans trois recueils gravés et insérés dans plusieurs
ensembles de dessins : « au total, une production de
quatre-vingt-quatorze modèles gravés et d’environ cent trente modèles dessinés,
dont une cinquantaine non repris dans les publications » (p. 197). Les
inventions des Logis domestiques
(Orléans, vers 1547), du premier et du troisième Livre d’architecture (Paris, 1559 et Paris,1582) sont étroitement
liées à la réalité du bâtiment de l’époque et souvent on distingue les
constructions qui ont inspirées le graveur. Dans le cas de l’hôtel Groslot à
Orléans (construit à partir de 1549 pour Jacques Groslot), la ressemblance avec
le modèle E des Logis domestiques est
telle qu’il est tentant de lui attribuer le projet. Quoi qu’il en soit, M.
Chatenet le voit comme « un architecte au plein sens de terme » (p.
216). (Monique Chatenet, « Des modèles pour l’architecture
française », p. 197-218). Un groupe de ses inventions s’éloigne cependant
volontairement et sensiblement de la réalité, et Du Cerceau suit ainsi encore
une fois Serlio. Les « étranges bâtiments » de Du Cerceau, nommés
ainsi par lui-même dans son Livre
d’Architecture de 1582, apparaissent déjà dans les dessins du recueil
Mansfeld (Bibliothèque nationale de France, Département des Estampes et de la
photographie). Après avoir expérimenté dans sa jeunesse la variation
fantaisiste de modèles antiques, les dessins de Serlio l’inspirent pour des
créations d’architecture idéale, pour arriver finalement aux bâtiments
utopiques de certains grands dessins sur vélin du British Museum. Son
gigantesque « bâtiment pyramidal à quatre terrasses » est un exemple
de ce dernier groupe. « Ainsi,
toute au long de sa vie, Jacques Androuet Du Cerceau a voulu s’exprimer dans un
univers architectural libéré des contraintes de la construction » (p.
229). (Monique Chatenet, « Les ‘bastiments estranges’ », p. 219-229.)
Du Cerceau partage effectivement
cette volonté avec les architectes de son époque, publiant leurs projets dans
un état idéal, comme par exemple Andrea Palladio et Philibert Delorme. Mais, Du
Cerceau a-t-il jamais signé des projets pour un chantier concret ? Rien
n’est moins sûr, et même dans le cas de l’hôtel Groslot le commanditaire
pourrait avoir choisi un des dessins du recueil gravé, paru peu de temps
auparavant. N’était-ce finalement pas la fonction d’un livre de modèles ?
Si Claude Mignot renvoie à cette possibilité, il propose en même temps
« un faisceau d’indices » étayant sa conviction que Du Cerceau était
un architecte qui construisait (p. 241). Le problème est particulièrement
complexe en ce qui concerne cinq des Plus
excellents bâtiments (Paris, 1576-1579), pour lesquels une attribution à Du
Cerceau a été proposée : les châteaux de Verneuil, de Charleval, de
Chenonceau et des Tuileries ainsi que la Maison Blanche de
Gaillon. Par contre, au moins pour le grand plan du château des Tuileries, des
recherches récentes ont pertinemment démontré qu’il ne peut s’agir que du
projet initial de Catherine de Médicis et non d’un dessin de Jacques Androuet
ou de son fils Baptiste Du Cerceau. La question de savoir si Du Cerceau était
un bâtisseur ou seulement « un rêveur d’architectures » (J.
Guillaume, p. 291) reste toutefois posée. (Claude Mignot, « Du dessin au
projet : Du Cerceau architecte ? », p. 241-256.)
Généralement,
le véritable caractère de son œuvre entre reproduction et invention reste
difficile à cerner. On n’identifiera probablement jamais la totalité des
innombrables fils courant entre les modèles ayant inspirés Du Cerceau et leur
interprétation par le même artiste, de même on ne comprendra peut-être jamais
la véritable influence de ses dessins et estampes sur les réalisations des
contemporains. Une étude comme celle proposée par Estelle Leutrat pour les Vues d’optique (1551) permet toutefois
de mieux comprendre sa méthode en dévoilant la genèse des dessins et des
gravures inspirés par « un modèle graphique de la fin du XVe
siècle figurant notamment dans le codex Santarelli (fol. 162 v°) conservé au
musée des Offices, dont Du Cerceau connut certainement une copie »
(Estelle Leutrat, « Les Vues
d’optique. Une poétique de l’espace », p. 183-195, ici, p. 184). En
tant qu’ornemaniste, il s’inspire naturellement des dessins et des
constructions qu’il voit, mais même quand il interprète un bâtiment réel, il ne
peut s’empêcher d’insérer ses inventions et de corriger un projet suivant
sa notion de l’architecture moderne. C’est ce qui fait comprendre l’analyse des
deux tomes de son anthologie des châteaux français, Les plus excellents bastiments de France (Paris, 1576-1579).
Certains « erreurs » sont aussi dues au fait qu’il ne se servait pas
toujours de dessins faits sur place, mais travaillait d’après les projets et
les maquettes des architectes. (Françoise Boudon, « Du Cerceau et Les plus excellents bastiments de France »,
p. 257-274). Aussi fallait-il, non seulement, mettre en page l’édifice, mais
également le mettre en scène suivant l’objectif représentatif de la publication
des plus excellents bâtiments du royaume français. La perspective en est un
outil principal et Du Cerceau a consacré un traité à cet art. Dans ses Leçons de perspective positive (Paris,
1576), où il déclare qu’elle sert « pour représenter les choses comme
elles apparoissent » (Préface de l’auteur), donc de transmettre sur le
papier l’effet de l’édifice (Valérie Auclair, « Les usages de la perspective
dans les représentations d’architecture », p. 275-288, ici p. 282).
Certes,
Jean Guillaume l’a souligné dans la conclusion, le nouveau livre n’est qu’un
début (p. 291). Par contre, ce début a déjà commencé à porter ses fruits. La
grande valeur du travail des chercheurs ayant participé à cet ouvrage s’est
manifestée récemment lors d’une journée d’études organisée par la même équipe.
Les contributions des spécialistes rassemblés autour d’une table ronde le 19
avril 2010, à la Cité
d’architecture et du patrimoine à Paris, ont
prouvé que l’ouvrage a bien engendré de nouvelles réflexions et ouvert
des nouvelles voies, si longtemps barrées. Un exemple en est la découverte d’un
jeune collègue, Angelo De Grande (EPHE, Paris/TU Dresden), regardant l’adoption
des modèles proposés par Du Cerceau sur un chantier concret : l’architecte
de la maison des Sept péchés capitaux à Pont-à-Mousson (Meurthe-et-Moselle)
s’est inspiré des inventions de Du Cerceau, tout particulièrement en ce qui
concerne l’ordre anthropomorphe, et les a interprétées en combinant des modèles
français et allemands (étude en préparation).
C’est
grâce aux travaux dirigés par J. Guillaume que l’on peut désormais s’attendre à
d’autres découvertes permettant une meilleure compréhension des paramètres de
la migration des formes au début de l’époque moderne.
Table des matières
Jean Guillaume, « Avant-propos », p. 7-8.
Jean Guillaume, « Introduction », p. 9-11.
Jean Guillaume, « Qui est Jacques Androuet Du Cerceau ? »,
p. 17-33.
Peter Fuhring, « L’œuvre gravé », p. 35-58.
Peter Fuhring, « Du Cerceau dessinateur », p. 59-71.
Hubertus Günther, « Du Cerceau et l’Antiquité », p. 75-90.
Krista De Jonge, « Le ‘Précurseur’. Du Cerceau et les anciens
Pays-Bas », p. 91-107.
Peter Fuhring, « Du Cerceau et Fontainebleau », p. 109-121.
Sabine Frommel, « Jacques Androuet du Cerceau et Sebastiano
Serlio : une rencontre décisive », p. 123-139.
Jean Guillaume, « Ornement et architecture », p. 143-182.
Estelle Leutrat, « Les Vues
d’optique. Une poétique de l’espace », p. 183-195.
Monique Chatenet, « Des modèles pour l’architecture française »,
p. 197-218.
Monique Chatenet, « Les ‘bastiments estranges’ », p. 219-229.
Claude Mignot, « Le langage architectural : langue commune et « gentilles inventions », p. 231-240.
Claude Mignot, « Du dessin au projet : Du Cerceau
architecte ? », p. 241-256.
Françoise Boudon, « Du Cerceau et Les
plus excellents bastiments de France », p. 257-274.
Valérie Auclair, « Les usages de la perspective dans les
représentations d’architecture », p. 275-288.
Jean Guillaume, « Conclusion. Le parcours de Du Cerceau », p.
289-291.
Annexe
Marie Madeleine Fontaine et Jean Guillaume, « Les textes de Du
Cerceau : pages de titre, dédicaces et avis au lecteur », p. 293-300.
Peter Fuhring, « Catalogue sommaire des estampes », p. 301-321.
Peter Fuhring, « Catalogue sommaire des recueils de dessins »,
p.323-332.
Herausgeber: Lorenz E. Baumer, Université de Genève ; Jan Blanc, Université de Genève ; Christian Heck, Université Lille III ; François Queyrel, École pratique des Hautes Études, Paris Diese Webseite wurde konzipiert von Lorenz Baumer und François Queyrel. Realisation: Lorenz Baumer, 2006/7