Drost, Wolfgang - Riechers, Ulrike: Charles Baudelaire, Salon de 1859. Texte de la Revue française établi avec un relevé de variantes, un commentaire et une étude sur Baudelaire Critique de l’art contemporain, 899 pp., 175 reproductions, ISBN 2-7453-1335-5.- 90 Euros (Honoré Champion, Paris 2006)
Rezension von Pierre Vaisse, Université de Genève
Anzahl Wörter : 820 Wörter Online publiziert am 2010-03-29 Zitat: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700). Link: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=1071
Bien que le champ
de ses compétences soit encore beaucoup plus large que ne le laisserait
supposer le titre du volume d’hommages qui lui est dédié en 1993, Von Rubens bis zum Dekonstruktivismus,
Wolfgang Drost est surtout connu comme l’un des grands spécialistes de la
critique d’art en France au milieu du XIXe siècle, et surtout comme
un invétéré baudelairien, puisque la première étude qu’il consacra à l’auteur
des Curiosités esthétiques parut dans
la Gazette des
Beaux-Arts en 1957. Depuis lors, ses publications sur cet auteur se sont accumulées
pour le plus grand profit et le plus grand plaisir des lecteurs ; mais
c’est une somme monumentale qu’il nous a livrée avec son édition critique du Salon de 1859.
Il avait déjà testé la formule avec
une Exposition de 1859 de Théophile
Gautier (Heidelberg : Carl Winter Universitätsverlag, 1992), mais les
notes, dans ce premier volume, ne dépassaient guère en longueur un texte à vrai
dire lui-même très long, alors que le rapport des commentaires à l’essai de
Baudelaire sur le Salon de 1859 est de neuf à un, ce qui donne une idée du
travail accompli. Le principe en est simple : donner du texte une édition
critique et l’entourer de toutes les informations susceptibles de l’éclairer.
Pour le texte, Wolfgang Drost a
choisi celui que publia la Revue
française et s’en explique longuement (p. XIX-XXII), mais il le fait suivre
de toutes les variantes de celui qu’avait donné Claude Pichois dans l’édition
de la Pléiade (p. 75-78). Toutes les œuvres exposées dont parle Baudelaire
ainsi que d’autres auxquelles il fait allusion sont reproduites, pour autant
qu’une reproduction a pu être retrouvée, ce qui constitue une documentation
visuelle importante qu’on aurait toutefois préférée de plus grand format et de
meilleure qualité. Le commentaire, qui suit le texte ligne à ligne, comprend pour
l’essentiel des notices sur les peintres mentionnés (notices d’une utilité
relative lorsqu’il s’agit d’un Delacroix, mais fort précieuses pour ceux qui
sont tombés dans l’oubli), puis des notices sur les œuvres exposées ainsi que
les jugements portés sur elles par les autres critiques contemporains, masse énorme
de citations offrant un riche matériau pour bâtir une histoire du goût. À cela
s’ajoute, pour chaque opinion formulée par Baudelaire ou pour chaque notion
qu’il emploie, des rapprochements avec tous les passages concernant le même terme
ou le même sujet tirés d’autres textes de lui, rapprochements qui permettent de
préciser sa pensée ou, le cas échéant, d’illustrer son évolution. Enfin, the last, but not the least, les
commentaires offrent de longs développements sur telle ou telle question
d’esthétique importantes à l’époque, telles que le statut de la photographie ou
la définition de la peinture de genre. C’est donc une gigantesque documentation,
réunie avec l’aide d’Ulrike Riechers, qu’apporte le volume, documentation
précieuse aussi bien pour l’historien de la peinture ou des idées esthétiques
que pour le spécialiste de Baudelaire, rendue facilement utilisable par un
« Index rerum et personarum »
très complet qui renvoie aussi bien à l’âme et à l’amour qu’à l’anecdote, à l’arabesque
ou à l’ascétisme. Seule limite : les nécessités de l’édition ont fait que
la bibliographie s’arrête pour l’essentiel à l’année 2003.
Entre le Salon de Baudelaire et le commentaire prend place une
« Synthèse du commentaire », sous-titre curieux pour un texte de
soixante-neuf pages qui tiendrait autant du résumé que de l’essai s’il n’y
manquait pas, par une lacune regrettable, mais significative, un chapitre
correspondant aux pages que Baudelaire consacre à la peinture d’histoire, que
Wolfgang Drost n’aborde que rapidement et indirectement à propos de
l’imagination. La connaissance qu’il a des idées du poète et de la critique
d’art à son époque n’est certes pas en cause : sa familiarité avec ce
domaine est sans égale aujourd’hui ; mais on le sent parfois un peu gêné de
devoir concilier l’évident traditionalisme du poète avec la modernité dont il passe
pour avoir été le héraut. Que Baudelaire en ait fait l’éloge, personne ne l’ignore ; mais c’était une
modernité bien à lui, impossible à confondre avec cette modernité devenue
aujourd’hui la valeur suprême de tout artiste et de toute œuvre dans tout
discours critique, à la fois tarte à la crème et auberge espagnole où chacun
met ce qu’il veut. On la confond en général avec la notion d’avant-garde, tout
aussi valorisée, alors que ce mot, qui ne paraît pas, et pour cause, dans
l’index du volume, ne se rencontre, on le sait, qu’une fois sous la plume de
Baudelaire, avec le sens originel qui lui vient du saint-simonisme, à propos
des écrivains humanitaristes. Comprendre Baudelaire critique d’art impose de
rompre avec la religion de la modernité qui nous aveugle et qu’il aurait
détestée comme il détestait l’idée de progrès. Le seul reproche que l’on puisse
faire à Wolfgang Drost serait de traiter cette dérive avec une excessive
prudence, de lui faire pour la forme quelques concessions ; mais à la lire avec
attention, l’analyse qu’il donne de l’esthétique de Baudelaire remet bien des
choses à leur juste place, par exemple lorsqu’il écrit (p. 142) que
« Baudelaire est lié aux concepts de l’art traditionnel et [que] son
regard de critique est moins progressiste que sa plume de poète. »
Herausgeber: Lorenz E. Baumer, Université de Genève ; Jan Blanc, Université de Genève ; Christian Heck, Université Lille III ; François Queyrel, École pratique des Hautes Études, Paris Diese Webseite wurde konzipiert von Lorenz Baumer und François Queyrel. Realisation: Lorenz Baumer, 2006/7