AA.VV.: Cent mille ans sous les rails. Archéologie de la ligne à grande vitesse est-européenne. Relié sous jaquette, 22,5 x 27,5 cm, 144 pages, 250 illustrations, ISBN 2757200062, 30 €
(Somogy éditions, Paris 2006)
 
Compte rendu par Bertrand Dousteyssier, Université Blaise Pascal – Clermont 2
 
Nombre de mots : 1253 mots
Publié en ligne le 2012-02-13
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=1049
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          Le catalogue de l’exposition « Cent mille ans sous les rails, archéologie de la Ligne à Grande vitesse Est Européenne » est co-édité par Somogy-Éditions d’Art et par l’Institut National de Recherches Archéologiques Préventives (INRAP). Publié en août 2006, il présente les résultats de recherches archéologiques commencées en 2000 par l’Afan (Association pour les fouilles archéologiques nationales), puis poursuivies, à partir de 2002, par l’INRAP dans les 4 régions traversées par la Ligne à Grande Vitesse Est Européenne (Île-de-France, Picardie, Champagne-Ardenne et Lorraine). Ce catalogue accompagne l’exposition itinérante organisée par le ministère de la Culture et de la Communication, Réseau ferré de France, l’INRAP et les quatre musées de Châlon-en-Champagne, Nemours, Château-Thierry et Saint-Germain-en-Laye qui ont accueilli, à tour de rôle, la manifestation. Il est destiné à porter à la connaissance du plus grand nombre les principaux résultats scientifiques des nombreuses fouilles effectuées, mais il faut souligner, d’emblée, que même un public plus averti y trouvera son compte, grâce à la qualité des textes et à une iconographie excellente et abondante (250 illustrations pour 144 pages).

 

          La lourde tâche de coordination de l’ouvrage a été confiée à Jan Vanmoerkerke (MCC) et Joëlle Burnouf (Université) qui ont parfaitement rempli leur rôle, réussissant à présenter un catalogue de manière vivante, fluide et homogène malgré les 51 contributeurs issus de structures diverses (INRAP, universités, collectivités, CNRS, MCC) et spécialistes de disciplines variées.

 

          Les courtes préfaces sont signées du ministre de la Culture, Renaud Donnedieu de Vabres et de Michel Boyon, président de Réseau ferré de France. L’introduction est l’œuvre de Jean-Paul Demoule, président de l’INRAP. Il retrace l’historique du chantier archéologique de la LGV Est Européenne et livre quelques chiffres pour illustrer l’importance de cette opération, hors normes : des opérations de terrain s’échelonnant entre les années 2000 et 2004, 300 km de tracé explorés sur 60 m de largeur en moyenne (soit 1800 ha  auxquels il faut ajouter 1200 ha de zone de stockage et installations de chantiers), 300 archéologues mobilisés dont 71 responsables d’opérations et jusqu’à 40 pelles mécaniques travaillant simultanément. Ce sont plus de 400 sites qui ont été découverts dont 170 d’habitat et 19 nécropoles. Le travail de terrain, auquel il faut ajouter celui réalisé en laboratoire, représente un total cumulé de 50 000 jours d’activité… Le parti pris du catalogue est d’essayer de faire comprendre au lecteur, au travers d’une approche d’archéologie environnementale, le rôle fondamental du passé pour la construction du présent et de l’avenir.

 

L’ouvrage est divisé en 4 grandes parties :

1. La géographie du tracé (p. 14-35)

2. Paysages et environnement (p. 36-51)

3. De Néandertal à nos jours (p. 52-85)

4. Ressources et cultures (p. 86 à 133)

 

Une bibliographie généraliste succincte (15 titres) et un index des noms de lieux viennent clôturer le catalogue.

 

          Dans la première partie, le tracé de la LGV est cartographié finement sur 10 double pages. Un fonds IGN au 1/25000 (échelle modifiée) sert de support pour aider le lecteur à se localiser. Les sites archéologiques découverts sont identifiés par une pastille de couleur, renvoyant ainsi à une grande phase chronologique. Sur le haut de la page est projeté, comme sur une portée de musique, l’ensemble des sites de la zone. On peut facilement, et en un coup d’œil, percevoir la densité de sites, par grandes périodes chronologiques. Sans surprise, 3 couleurs dominent nettement : le rouge (sites de l’Âge du Bronze), le rose (Âge du Fer) et le vert (époque romaine). 38 sites notoires sont identifiés par le nom de la commune où ils sont localisés et des pictogrammes précisent la nature de l’occupation (habitat, nécropole, voirie, stockage etc.). Ces sites sont présentés, plus en détail, dans le reste du catalogue.

 

          Cette première partie fait appel à un graphisme original, très simple à comprendre et livrant pourtant des informations multiples et variées. Il s’agit là d’une réussite qu’il convient de souligner. On regrettera simplement que l’échelle ne soit jamais précisée ; un profil topographique aurait, en outre, également permis de mieux appréhender le paysage dès ce premier chapitre.

 

          La deuxième partie se propose de familiariser le lecteur avec les différents paysages rencontrés tout au long du tracé. L’accent est mis sur sept bassins versants : Marne, Semoigne et Ardre, Vesle, Aire et Aisne, Meuse, Moselle et enfin Nied et Sarre. Chaque bassin, décliné sur une double-page, est étudié systématiquement de la même manière. Une photographie aérienne prise à basse altitude permet de visualiser une partie du bassin et son occupation du sol actuel. Deux extraits cartographiques, un illustrant le paysage au XVIIIe s. (carte de Cassini), l’autre le contexte géologique et le relief (carte géologique du BRGM avec le relief ombré) sont mis en vis-à-vis. Un texte vient enfin décrire le paysage actuel et synthétise les données acquises par l’archéologie pour une période en particulier. Le but recherché est de montrer l’évolution des paysages et l’impact anthropique sur le milieu.

 

          La troisième partie présente des sites d’habitats de différentes périodes, mis au jour lors de ce chantier titanesque, suivant un découpage chronologique en dix grandes périodes académiques : paléolithique, mésolithique, néolithique, Âge du Bronze, Âge du Fer, Gaule romaine, Antiquité tardive, haut Moyen Âge, Moyen Âge et époques moderne et contemporaine. Les textes, forcément succincts, s’appliquent à rendre compréhensibles les plans de fouilles et une iconographie choisie présente soit des hypothèses de restitution des bâtiments, soit quelques vestiges mobiliers caractéristiques ou exceptionnels. C’est le cas, par exemple, de fragments de torchis recouverts d’un enduit peint et datés de l’Âge du Bronze (site du Haut des Chaillots, dans le département de la Marne). Le chercheur, alléché par certaines notices, devra prendre son mal en patience et attendre la publication scientifique des sites pour avoir davantage d’informations.

 

          La dernière partie, intitulée « ressources et cultures », est la plus fournie (47 pages). Très pédagogique, elle a pour but de balayer les objets d’études des archéologues et de montrer que les méthodes et les problématiques ont récemment beaucoup évolué. Dans une première sous-partie « archéologie de l’environnement », les auteurs s’attachent à présenter les moyens d’études des environnements passés (palynologie, études des parcellaires etc.) et démontrent que les sites ne doivent pas être coupés de leur contexte environnemental. Cette vision, maintenant bien acceptée et intégrée par la communauté scientifique (tant lors de recherches programmées que préventives) est encore globalement méconnue par un public de non spécialistes. L’effort est très louable de présenter, ici, des disciplines scientifiques pointues et des méthodes qui ne sont pas toujours évidentes à exposer à un public pour qui l’archéologie est encore trop souvent synonyme de « beaux objets ». La sous-partie sur les matériaux incite le lecteur à s’interroger sur les matières premières, les usages, les transformations et la circulation des produits bruts à finis, mais aussi sur ce que peuvent traduire ces vestiges sur nos connaissances des sociétés passées et leurs évolutions. L’avant dernière sous-partie montre combien l’archéozoologie et la carpologie, notamment, sont des disciplines essentielles pour la compréhension des modes de culture, d’élevage et de consommation.

 

          Enfin, une présentation de l’archéologie funéraire termine cette partie. Elle aurait pu, et sans doute dû, faire l’objet d’un chapitre à part. Son lien avec les trois précédentes sous-parties n’est pas totalement pertinent. Là encore, un effort de présentation des méthodes employées lors de l’étude de tombes a été réalisé et montre la diversité des rites funéraires.

 

          Ce catalogue, destiné à faire partager, auprès du plus grand nombre, les résultats des fouilles effectuées sur le tracé de la LGV Est Européenne contribue à faire évoluer la perception de la discipline archéologique et ses champs d’actions. Il montre combien le chercheur qui étudie le passé est un acteur contemporain, en phase avec son siècle, n’empêchant pas les aménagements contemporains mais les accompagnant et sachant mobiliser de nombreuses disciplines de pointe pour « faire parler » le moindre indice du passé.

 

          Il s’agit d’un excellent outil pédagogique à mettre à l’actif de l’INRAP qui a su, au travers d’un savant dosage, valoriser les résultats de ses fouilles sans tomber, ni dans la simplification caricaturale, ni dans le verbiage disciplinaire.

Le graphisme, la qualité des illustrations et des textes font de ce catalogue un modèle à suivre pour qui veut rendre compréhensible des données archéologiques à des non-spécialistes.