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Recensione di Véronique Castagnet, Université de Toulouse Numero di parole: 2119 parole Pubblicato on line il 2015-07-21 Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700). Link: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=1044 Link per ordinare il libro
Pourquoi dire que Saint-Riquier, dans la Somme, est « le Cluny de l’époque carolingienne » (J. Hubert) ? Peut-on ainsi résumer la place de cette abbaye dans l’histoire des fondations monastiques de la période médiévale à nos jours ? Le bel ouvrage publié, sous la direction d’Aline Magnien, par les éditions Picard, réunit pour le lecteur plusieurs arguments probants en faveur d’une nouvelle approche historiographique de ce monument.
Suivant une démarche classique, et fort agréable, les contributeurs de ce précieux ouvrage campent tout d’abord l’histoire générale de l’abbaye, de ses origines carolingiennes à la valorisation culturelle contemporaine. Après une fondation dont les modalités restent troubles pour l’historien, le premier élan décisif est donné par Angilbert, gendre de Charlemagne : fin lettré, il dirige le monastère entre 790 et 814 (date de sa mort), codifie la liturgie et complète en conséquence l’ensemble architectural par l’édification de trois églises qu’il dote d’objets cultuels et de reliques. Jusqu’au XIIe siècle, la matrice carolingienne se lit ainsi dans les bâtiments monastiques. Saint-Riquier traverse pourtant quelques difficultés. L’abbaye doit faire face à l’émancipation de la ville adossée au monastère et qui désormais prend le nom de Saint-Riquier : à partir de la validation, par le roi, de la charte communale en 1189 (et de sa ratification en 1365), le pouvoir de l’abbé se réduit à la fixation des poids et des mesures, aux droits d’étalage et de tonlieu. Fort heureusement, depuis une vingtaine d’années, le monastère bénéficie de la protection accordée par le Saint-Siège, protection de ses possessions, très étendues, et de sa justice ecclésiastique et seigneuriale dans l’enceinte de la ville (privilège du pape Alexandre III de 1172).
Un siècle plus tard, au XIIIe siècle, la querelle entre la commune et l’abbaye n’est toujours pas apaisée. Malgré tout, l’abbaye connaît de grands travaux d’embellissement à la fin du Moyen Âge : par exemple, l’abbé Gilles de Machemont (1257‑1292), chapelain du pape, donne à Saint‑Riquier des traits gothiques, en particulier, dans la modification du chœur oriental de l’abbatiale, désormais embelli par un déambulatoire et des chapelles rayonnantes.
Au cours de la fin du Moyen Âge et au début des temps modernes, le village de Saint-Riquier, situé au nord du royaume de France, n’est pas épargné par les affrontements militaires des XIVe et XVe siècles, entre Anglais et Français, et au XVIe siècle, entre Français et Impériaux. Les abbés successifs tentent donc de protéger la fondation monastique contre l’usurpation de droits seigneuriaux et contre l’effort de guerre (construction de fortifications, paiement de la rançon du roi, entretien des otages). Des dissensions internes majeures affaiblissent aussi le monastère. Certes l’introduction de la commende, avec Charles Dodieu (1538-1568), est assortie d’une volonté de réforme, mais la situation dégénère au cours de la fin du XVIe siècle et du début du XVIIe siècle.
Le troisième moment fort de l’histoire de cette abbatiale est écrit dès l’affiliation des religieux à l’ordre de Saint-Maur, après autorisation pontificale. Des reconstructions majeures sont entreprises, entre 1644 et 1695, par celui que l’historiographie nomme le « Second Angilbert » : l’abbé Charles d’Aligre. Avec son frère, François, autre abbé, il a remanié le chœur pour lui donner l’aspect que le visiteur peut observer aujourd’hui : des stalles ont été installées, les trophées de la tribune de l’orgue ont été repris, le chœur a été fermé par une grille en fer, et un maître autel à la romaine a trouvé place en remplacement de la table d’autel médiévale. Le dernier incendie de 1719 laisse l’édifice à l’état de ruine.
À partir de 1791 et sa désignation comme bien national appelé à être vendu, l’ensemble conventuel connaît une autre vie. D’une part, l’église abbatiale devient paroissiale pour le village de Saint-Riquier. D’autre part, les bâtiments monastiques sont affectés au petit séminaire diocésain du XIXe siècle, puis à l’usage de la Congrégation locale des auxiliaires du clergé de 1953 à 1967. Actuellement, le lieu sert d’écrin au développement d’un centre culturel et d’animation.
Ce livre collectif repose sur une recherche approfondie des sources variées relatant l’histoire du site et des hommes qui ont eu la charge des bâtiments monastiques. Les manuscrits sont certes convoqués, à commencer par le manuscrit latin de l’Institutio d’Angilbert, la Gesta ecclesiae Centulensis d’Hariulf et sa Miniature, et des extraits de pages enluminées de manuscrits médiévaux comme le Miroir historial de Vincent de Beauvais dans lequel des scènes de la vie de saint Riquier ont été figurées. Cette iconographie médiévale côtoie des dessins des périodes moderne et contemporaine, des plans de masse, des plans détaillés de l’abbatiale ou de la façade monumentale, des relevés permettant la reconstitution de maquettes, ainsi que des photographies contemporaines qui invitent à la visite du site. Beaucoup de ces pièces archéologiques et historiques majeures sont reproduites dans cet ouvrage à titre d’illustration et à titre de pièce à conviction pour étayer la synthèse.
Loin de n’être qu’une monographie, cette étude collective prend place dans des problématiques nouvelles pour la recherche contemporaine, ce qui rend cette publication essentielle. L’analyse de la bibliothèque de Saint-Riquier insiste en particulier sur la multiplicité des usages (y compris scolaire) du Moyen Âge à la Révolution, sur les différents moments propices aux acquisitions et sur les innombrables aléas subis par les fonds documentaires, aléas justifiant les précautions méthodologiques de l’historien(ne) pour reconstituer un aperçu de ces richesses.
Historiens, historiens de l’art et archéologues s’attachent aussi à retrouver les hommes de Saint‑Riquier pour reconstituer les réseaux au sein desquels ils gravitaient. La période carolingienne apparaît avec force dans les premières décennies de l’abbaye, éclipsant l’importance de la période mérovingienne, peu documentée. L’abbé Angilbert reçoit Charlemagne et demande à Alcuin de remanier le texte de la Vita Primigenia. Le monastère devient un important centre spirituel accueillant 300 moines et plus de 100 enfants éduqués dans les écoles. Du reste, les artistes postérieurs ne manquent pas de se référer à ce premier « âge d’or » : les artistes commandités par les abbés d’Aligre, à la fin du XVIIe siècle, sculptent sur une stalle du nouveau chœur le roi Louis XIV assimilé à Charlemagne alors qu’un tableau peint illustre L’invention du corps de saint Algibert.
L’éclairage apporté sur les conditions matérielles du redressement de cette abbaye par les Mauristes et les transformations du monastère aux XVIIe et XVIIIe siècles est précieux. Car rares sont les études sur l’œuvre monumentale accomplie par ces religieux, en parallèle à l’effort de réforme pour un retour à l’observance de la règle. Pour autant, il n’est pas possible de parler d’architecture mauriste, dans la mesure où les religieux ont pris en considération l’existence des anciens bâtiments (conçus pour d’autres ordres monastiques) : ces bâtiments d’une grande diversité désormais reconstruits pour leurs usages sont maintenant environnés de nouvelles constructions classiques. Cette première réflexion appelle des comparaisons entre Saint-Riquier et d’autres implantations mauristes.
En outre, le travail sur l’architecture, les peintures et les sculptures de l’abbaye met en évidence les influences artistiques au sein desquelles Saint-Riquier se place pour les périodes médiévale et moderne : une technique de l’estampage par ailleurs répandue en Normandie, Île-de-France, Champagne, Bourgogne ; les peintures des tableaux d’autels par des artistes parisiens ; les sculptures influencées par l’art abbevillois de la première moitié du XVIe siècle ; les stalles créées par des artistes amiénois. Les commendataires se tournent, consciemment, vers des artistes d’origines géographiques très différentes, selon les moments, selon les techniques et les supports.
Enfin, la découverte récente du pavement des chapelles du déambulatoire dédiées à saint Pierre et à saint Benoît livre aux chercheurs un matériau rare, et fragile, coloré, aux motifs divers (géométriques surtout, fleur-de-lisés et dans une moindre mesure figuratifs ou à finalité narrative) permettant de mieux connaître la technique de l’estampage appliquée aux carreaux des sols intérieurs d’un ensemble monastique à la fin du Moyen Âge.
Au final, il est bien difficile de réduire les seuls apports de cet ouvrage à ces quelques problématiques tant les contributions abondent de nouveautés. Elles fournissent des premiers éléments de réponse à la question qu’une nouvelle enquête collective pourrait placer au cœur de ses travaux : dans quelles mesures Saint-Riquier a-t-elle constitué un modèle pour les fondations monastiques des régions septentrionales de l’empire carolingien, au contact des peuples nouvellement évangélisés ?
Sommaire
Préface de Christian Manable, président du Conseil général de la Somme Préface de Roland Recht Première partie : Histoire générale, p. 14 Histoire d’une abbaye, par Sabine Racinet p. 17 Les origines de l’abbaye de Saint-Riquier Les fastes carolingiens Les difficultés de la fin de l’époque carolingienne Les XIe-XIIe siècles La fin du Moyen Âge L’époque moderne L’instauration de la congrégation de Saint-Maur La fin de l’abbaye et l’époque contemporaine Annexe La bibliothèque de l’abbaye, par Prisca Hazebrouck, p. 33 L’âge d’or Vicissitudes et reconstitutions du fonds de la bibliothèque L’état de la bibliothèque en 1789 et sa dispersion : la partie déposée à la bibliothèque d’Abbeville Entre Bruges et Saint-Riquier : Jean de la Gruuthuse, par Aline Magnien, p. 45
Deuxième partie : Architecture, p. 52 Saint-Riquier : l’abbaye carolingienne d’Angilbert, par Honoré Bernard, p. 55 Notre-Dame : le prélude La grande abbatiale d’Angilbert La tour du Sauveur L’abbaye L’église gothique XIIIe siècle, par Dany Sandron, p. 83 Les travaux de la fin du Moyen Âge (l’âge flamboyant), par Isabelle Isnard, p. 93 Une église défigurée par des restaurations abusives L’architecture du chœur, du transept et de la salle du trésor Les questions de datation Les mauristes bâtisseurs : les transformations de l’abbaye du XVIIe au XVIIIe siècle, par Honoré Bernard, p. 109 Les mauristes à Saint-Riquier L’héritage La reconstruction de l’aile ouest Les infirmeries Au cœur de la vie monastique : l’aile sud et celle du chapitre La planche du Monasticon Conclusion : quand les mauristes reconstruisent Les restaurations aux XIXe et XXe siècles, par Jean-Michel Leniaud, p. 147 De l’enfer au purgatoire Les bienfaits de la pénurie Du purgatoire au providentiel marasme Les années Malraux : restaurer les restaurations Les sculptures du portail restaurées
Iconographie de la façade, par Marc Gil, p. 161 La travée centrale : image de la centula carolingienne Le portail nord : saint Mauguille et saint Eustache Portail sud : la Vierge Marie Schéma de la façade Les sculptures monumentales de l’abbatiale à la fin du Moyen Âge, par Sophie Guillot de Suduraut, p. 177 La sculpture abbevilloise gothique tardive La chapelle de Saint-Angilbert La trésorerie Les reliefs narratifs La chapelle de la Vierge La chapelle Saint-Marcoul Les modèles formels Le transept La façade occidentale Vers la Renaissance Matériaux et polychromie de la façade et des statues, p. 197 Matériau des sculptures : la craie, par Sophie Guillot de Suduraut La polychromie des sculptures de la chapelle Saint-Angilbert, par Nathalie Pingaud et Sophie Guillot de Suduraut Les restaurations du XXIe siècle à la façade de Saint-Riquier et leurs enseignements, par Vincent Brunelle La peinture murale, par Marc Gil, p. 211 La décoration de la chapelle de la Vierge (1460-1537) Les peintures murales de la trésorerie Découverte récente de carreaux de pavement à glaçures de la fin du Moyen Âge, par François Blary, p. 235 Contexte de la découverte Nature des productions Datation des carreaux de pavement Agencement des sols au XVe siècle Premières conclusions et perspectives d’étude
L’assomption de la Vierge et le Noli me tangere, provenant d’un retable démembré de la glorification de la Vierge, par Marc Gil, p. 253 Rénovation et décoration du chœur : les travaux de l’abbé d’Aligre, par Aline Magnien, p. 261 De Paris à Saint-Riquier : les tableaux d’autels commandés par l’abbé d’Aligre, par Anne Le Pas de Sécheval, p. 273 Les embellissements des chapelles du chœur et la promotion de la peinture dans l’abbatiale Commande partagée et compétition artistique : la question du « concours » entre peintres parisiens et le modèle des commandes royales Les peintres de Saint-Riquier : une sélection inégale ? Hagiographie et christologie : iconographie, « invention », et culture visuelle dans la peinture d’église Les orgues et leur tribune, par Aline Magnien, p. 280 Les dépouilles de la Révolution, p. 293 Les fonds baptismaux de Notre-Dame, par Aline Magnien Nicolas-Bertrand Lépicié, le Crucifiement, par Anne Le Pas de Sécheval Les tableaux du XIXe siècle dans l’église abbatiale, par Pierre Curie et Didier Ryckner, p. 301 Bibliographie, p. 307 Index, p. 315 Table des illustrations, p. 322
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Editori: Lorenz E. Baumer, Université de Genève ; Jan Blanc, Université de Genève ; Christian Heck, Université Lille III ; François Queyrel, École pratique des Hautes Études, Paris |